lundi 28 septembre 2015

Tranche de bière

Dimanche, 19h00. Soir d'éclipse lunaire. Nous sommes pour une rare fois depuis des semaines, assis tous les 5 autour d'une table ronde dans une petite brasserie de la rue St-Denis à Montréal. C'est la fête du benjamin de la famille. 18 ans. Rien de moins. Mes 3 boys ne sont plus des enfants. C'est un constat. Je les regarde assis côté à côte, chacun a sa couleur de bière, reflet de leur identité propre, même si la génétique ne ment pas sur leur lien de fraternité.
Le fêté, calme, observe les échanges entre ses deux frères, y mettant son grain de sel occasionnellement. Son regard, souvent attiré vers le bas, vers celle qui occupe ses pensées et son cœur depuis quelques semaines seulement. Il est discret mais je vois bien les sourires qu'elle dépose sur ses lèvres, même à travers un téléphone, même à 100km de distance. Il est beau à voir. Elle, je ne la connais pas encore mais je l'aime déjà parce qu'elle le rend heureux et ca me suffit.
Pendant ce temps, les deux aînés discutent mathématiques et concepts de physique, bifurquant occasionnellement vers des sujets auxquels je peux participer. Mon chéri, confortablement assis, écoute attentivement ces échanges et y participe de temps à autre. Il sourit aussi en me regardant le regarder. Je ne peux rien lui cacher.
Moi, je bois ma p'tite blonde, attentive à toutes ces conversations et à tout le reste aussi... Ce qui se cache derrière les regards, les couleurs de bière et les éclipses lunaires. On fait un "deal" tout le monde ensemble que tant que possible, à chacune de leur fête, on remet ça! J'ai déjà hâte de voir quelle couleur de bière ils choisiront la prochaine fois!

Tranche de vie

Il habitait à quelques pas seulement, prenait le même autobus que mes boys, jouait sur la même patinoire du coin lorsqu'ils étaient tout petits. Je ne le connaissais pas personnellement ce beau jeune homme mais je savais qu'il existait et qu'il vivait sa vie quelque part tout près. Il avait 19 ans. Il s'est enlevé la vie et sans le vouloir, a soufflé sur celle de tous ceux qui l'aimaient tendrement.
L'automne dernier, un autre jeune homme du même âge nous a ...quitté sans dire aurevoir. Cette fois-ci, dans un accident de voiture. Lui aussi, sans le vouloir, est parti avec une parcelle d'âme de ceux qui l'aimaient plus que tout.
Et il y en a eu d'autres...
Assister à distance à de telles tragédies n'a pas le même impact que si notre vie est intimement reliée à la personne. Après le choc, la vie reprend plus vite son cours et nous voilà en train de mettre un pied devant l'autre. J'avance donc mais je sens que mon pas a changé. Avec eux, est parti mon sentiment de sécurité, mon illusion que rien de mal ne pouvait arriver à ceux que j'aime. Pour combler cet espace laissé vacant, la peur et l'inquiétude ont vite fait de se pointer le bout du nez. Pas question de leur laisser prendre toute la place toutefois, je garde donc ma main étendue devant moi dans un geste protecteur. Je sais qu'ils sont là, attentifs à la moindre occasion de se rapprocher et parfois, je les sens si près qu'ils m'étouffent et j'ai peine à respirer.
Durant la dernière année, mon regard sur la vie et sa fragilité a changé. Durant la dernière année, mon regard sur mes enfants a changé. Je croyais le savoir mais je n'avais rien compris au fond. Personne n'est à l'abri. Pas mon p'tit voisin, ni le fils de mes amis et aucun des autres qui sont partis.
J'attends donc patiemment qu'il revienne, ce sentiment de sécurité, même si je sais qu'il aura sûrement un peu changé, qu'il aura prit un air de vieux. Ca ne fait rien. Je le prendrai ainsi et chaque fois que je le regarderai en face, je me rappellerai de ceux qui sont partis trop vite. Ca me rappellera l'importance d'aimer, d'apprécier chaque moment partagé et surtout, surtout, de ne jamais prendre pour acquis.